Par Pierre Coopman
Au Soudan, le projet de réforme de la presse, qui avait provoqué une levée de boucliers, a finalement été amendé et assoupli, début juin 2009. Dans le quotidien Al-Quds Al-Arabi du 2 juin, l’intellectuel soudanais Abdelwahab Al-Effendi jugeait les tentatives du gouvernement soudanais de contrôler la presse complètement vaines.
Ce projet autorisait la fermeture de journaux par le gouvernement et prévoyait des amendes de 50 000 livres soudanaises (plus de 21 000 dollars US). Les parlementaires ont finalement abandonné l’idée d’imposer des amendes et limité les prérogatives du Conseil de la presse. Dans une interview accordée à l’AFP, Moheddine Titawi, président de l'Association des journalistes soudanais qualifiait "d'injustes" les pouvoirs accordés au Conseil de la presse. Abd Al-Qadir, membre du comité éditorial du grand quotidien pro-gouvernemental Al-Rayy al-Aam (L'Opinion publique), déplorait que ce projet de loi se concentre seulement sur des mesures punitives et qu’il ne traite pas de la liberté d'expression et du droit du public à l'information.
Le Soudan doit organiser ses premières élections générales depuis plus de 20 ans en février prochain. Sans les amendements apportés début juin 2009, la couverture de ces élections par les médias risquait d’être gravement compromise. "Comment pouvons-nous aller aux élections sans une presse libre ?", avait déclaré Yasir Arman, chef du groupe parlementaire du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), principale formation représentant le Sud-Soudan au parlement à Khartoum.
Depuis que le Front national islamique a pris le pouvoir en 1989, la presse soudanaise est soumise à la censure avant publication. Une trentaine de titres sont néanmoins publiés chaque jour en arabe et en anglais, représentant les tendances communistes, islamistes ou pro-gouvernementales... Mais après l'émission, le 4 mars 2009, du mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président Omar Al-Béchir, pour crimes de guerre et contre l'humanité au Darfour, les médias soudanais se sont davantage plaints d’une recrudescence de la censure.
Le soir, les « chauves-souris »
Au Soudan, les premiers lecteurs des journaux du lendemain sont presque toujours des responsables gouvernementaux effectuant, le soir, une tournée des salles de rédaction.
Le deux juin 2009, dans la page opinion du quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi (1), l’intellectuel et opposant soudanais Abdelwahab Al-Effendi, vivant à Londres depuis plusieurs années, qualifiait ces visiteurs de « chauves-souris ».
Abdelwahab Al-Effendi remarquait, non sans ironie, que la proposition de loi sur la presse est apparue alors que les autorités soudanaises s’étaient engagées, au terme du processus de paix avec l’opposition sudiste du SPLM (Accords de Naivasha en janvier 2005), à renforcer la démocratie : « Cet engagement ne devrait-il pas les inciter à plus de prévoyance si un jour ils passent dans l’opposition ? Ont-ils raison de proposer des lois qui pourraient un jour se retourner contre eux ? Ne devraient-ils d’ailleurs pas considérer que la liberté de la presse permet d’être à l’écoute des opinions publiques, de mieux réfuter les calomnies et de rectifier les fausses informations ? »
Dans son article du 2 juin, Abdelwahab Al-Effendi expliquait qu’avec le foisonnement actuel des médias au niveau planétaire, il est devenu impossible pour n’importe quel pays au monde de dissimuler des informations qui sont toujours disponibles pour ceux qui les recherchent vraiment… « Le pluralisme au Soudan est naturel », a-t-il rappelé. « Même aux époques considérées comme plus obscures que la période actuelle, où il y avait moins de moyens de communication, le monopole de l’information de la part des autorités était imaginaire. »
Abdelwahab Al-Effendi fait référence à deux anciens chefs d’Etat soudanais, Ibrahim Aboud (1958 -1964) et Jafar Al-Nimeyri (1971 – 1985), qui avaient tous les deux admis que la meilleure manière d’effectuer un sondage public était de se tenir au courant des conversations tenues par les Soudanais au cours des cérémonies de funérailles, un événement social qui, en pays musulman, réussit très vite à rassembler (selon le rite établi, les funérailles se tiennent rapidement après le décès) de larges franges de la société : les nombreuses tribus et les divers courants politiques.
« Comme Ceaucescu »
Jugeant les tentatives du gouvernement soudanais de contrôler la presse complètement vaines, Abdelwahab Al-Effendi croit qu’elles révèlent surtout son manque de confiance quant à ses possibilités de gagner les faveurs de l’opinion publique et qu’elles ne présagent rien de bon quant aux volontés du régime d’aller aux prochaines élections présidentielles et législatives de février 2010 en respectant la légalité.
Finalement, il compare les manœuvres actuelles du gouvernement à ces politiques économiques qui essayent d’influencer le prix des biens et services sans qu’ils ne reflètent les réalités du marché. Dans ces cas là, le commerce informel se déploie et propose des prix plus proches des valeurs réelles. De la même manière, les restrictions que le gouvernement de Khartoum veut imposer aux médias afin de les contrôler risquent de l’éloigner des informations fiables qui seront bel et bien diffusées dans les médias officieux.
Au terme d’une comparaison audacieuse, Abdelwahab Al-Effendi explique que c’est en suivant une logique similaire que Ceaucescu, en 1989, fut dupé par sa confiance aveugle en de fausses informations qui lui indiquaient que les foules se pressaient pour l’acclamer alors qu’elles préparaient sa chute…
(1) “Qawaniin taqyiid as-sahaafa : diiq min ad-dimouqratiya as-soudaniya”, Les lois de régulation de la presse ou la misère de la démocratie soudanaise, Al-Quds Al-Arabi, 2 juin 2009.
L'article en arabe : Téléchargement Al Quds Soudan
A lire également : Sudan's elections paradox sur enoughproject.org
La situation des médias n’est-elle pas meilleure à l’Ouest et au Sud du Soudan ?
Connais-tu cette radio indépendante? http://www.radiodabanga.org/
Mig
Rédigé par : Mig | 19 juin 2009 à 00:20
Le même Abdelwahab Al-Effendi a publié un texte très intéressant stigmatisant Farouk Hosni, ministre égyptien de la Culture, qui pour favoriser sa candidature à la direction générale de l'Unesco, s’est excusé hypocritement d’avoir prétendu vouloir brûler tous les livres hébreux dans les bibliothèques de son pays. Ce texte d’Abdelwahab Al-Effendi a été traduit par Courrier International : http://www.courrierinternational.com/article/2009/06/04/un-fossoyeur-de-la-culture
François
Rédigé par : François | 19 juin 2009 à 00:23
A signaler quand même : de nombreux articles d’Abdelwahab Al-Effendi sont une défense dissimulée de son mentor, qui n’est autre que l’islamiste Hassan Al-Tourabi, ancien conseiller et chef spirituel du régime, aujourd’hui en disgrâce.
Mohamed
Rédigé par : Mohamed | 19 juin 2009 à 00:25