mars 2010,
Dans une caricature de Mazen Kerbaj, deux bourgeoises libanaises se parlent de leurs petits soucis. L’une raconte à son amie comment elle a découvert que sa bonne n’était pas Philippine, car elle pleurait devant les images de l’avion éthiopien sinistré au large de Beyrouth le 25 janvier 2010. Il fut alors décidé de diminuer le salaire de la servante (les Ethiopiennes sont moins bien payées).
Ce dessin de Mazen Kerbaj a été censuré dans le dossier que le mensuel francophone libanais «L’Orient Littéraire» a consacré, en février 2010, à la question de la censure au pays du Cèdre. Pierre Abi Saab, responsable de la page culturelle du quotidien en langue arabe « Al-Akhbar » n’a a pas manqué d’ironiser sur l’incident.
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Cher Pierre,
quelques remarques sur ta note :
- je suis le secrétaire de rédaction de l'Orient Littéraire et à l'origine de la "fuite" de l'affaire.
- Contrairement à ce que tu dis en introduction, il n'y a pas eu censure directe sur le premier dessin, mais disons que le rédacteur en chef, Alexandre Najjar, était vraiment contre, pour des raisons qui lui sont propres. Ce qui est son droit en tant que rédacteur en chef. Il avait proposé à Kerbaj de soit modifier les légendes OU de donner un autre dessin OU, au pire, de ne rien mettre.
Kerbaj a choisi la seconde option et à proposé deux dessins qui avaient été refusé en 2004 par l'Orient-Le Jour (dont est issus le supplément Littéraire, mais qui n'existait pas encore en 2004 !!!)
- Là, sur le coup, c'est le rédacteur en chef de l'Orient-Le Jour qui bloque les deux dessins, devenu bien inoffensifs 6 plus tard (le mort repose en paix, sa famille pense à autre chose, et Lara Fabian est retourné aux oubliettes de la variété française).
- Bref, je souligne ce qui me semble être une contradiction entre les décisions éditoriales et le sujet du dossier de une pour en faire une note que je poste sur FaceBook, pour l'intérêt général et celui plus particulier des gens de la profession.
- Mon ami Kerbaj, qui a le sang chaud d'un "enculé d'arabe" et sur-réagit un peu facilement - et je l'apprécie aussi pour ça - me remercie et diffuse l'info qui parvient aux oreilles de Pierre Abi Saab.
- Là dessus, sans me consulter, ni contacter Najjar et/ou Aoun pour complément d'information sur l'affaire, Pierre Abi Saab sort son article. C'est évidement une attaque directe contre des "représentants" d'un courant politique par un autre, à savoir du 8 Mars (al-Akhbar) contre le 14 Mars (l'Orient-Le Jour). Et c'est évidement loin de toute déontologie professionnelle, car le minimum est d'avoir d'autres points de vue que celui du dessinateur qui se sent lésé. Critiquer les contradictions de ceux qui s'élèvent contre la censure est une chose (ce que j'ai fait), utiliser cette contradiction dans un enjeux politique - très tendu au Liban au moment des faits - est est une autre.
- Clairement, Kerbaj et moi-même, qui avons des opinions assez radicales sur un grand nombre de sujets, nous situons clairement en dehors de la guerre de tranchée que se livre le 8 et le 14 Mars. L'article d'Ab Saad, fondé dans ses propos, mais partial et non documenté sur le déroulement de l'affaire, est une pièce dans l'échange d'artillerie entre les deux camps politiques. C'est pour cette raison que j'ai fin par retirer ma note de FaceBook, à l'origine de l'information.
- Je m'amuse donc de voir les déformations de l'information au fur et à mesure qu'elle se modifie à chaque transfert… comme quoi que faire du blog ne fait pas toujours avancer dans le bon sens la vérité et la justice… que je défend en tant que journaliste.
- Pour finir, et pour information, le dessin de Kerbaj publié par l'Orient Littéraire dans le numéro suivant est identique à celui qui avait beaucoup de peine à passer un mois plus tôt (on était en plein dans l'affaire du crash de l'avion d'Ethiopian Airline et tous les cadavres n'étaient pas remonté à la surface…). Les légendes sont changées et il parle tout aussi bien du racisme ordinaire des Libanais, celui que nous aimons dénoncer, Kerbaj et moi. Ce dessin est passé sans encombre. Mais certainement aussi parce que les gens de l'Orient-Le Jour et l'Orient Littéraire ont compris que quand on défend de juste causes comme la liberté de pensée, toutes les voix doivent pouvoir ce faire entendre.
Nous sommes au Liban, et il y a encore du travail à faire pour que cela change. Beaucoup de travail… loin des guerres de tranchés des oligarchies politiques.
Alexandre MEDAWAR
Rédigé par: Alexandre Medawar | 18 mars 2010 à 12:11
Rédigé par : Alexandre Medawar | 18 mars 2010 à 12:51
Merci Alexandre pour ces infos. Il est clair que j'ai juste traduit le papier de Al-Akhbar et que, lu depuis l'Europe, je ne peux pas être au courant de "la petite histoire" derrière l'affaire. C'est également pour cela que l'interactivité de l'Internet est intéressante. Je te remercie donc pour ces commentaires très intéressants. Tu auras néanmoins remarqué que, dans mon introduction, je renvoie Al-Akhbar et L'Orient dos à dos. J'y salue clairement le courage de L'Orient-Littéraire dans sa dénonciation des "censures absurdes" qui sévissent au Liban et je me garde de me ranger aveuglément du côté de Al-Akhbar. Je suis au courant du conflit entre le 8 mars et le 14 mars, mais j'exprime cela autrement, en informant mes lecteurs, dont la plupart ne connaissent pas bien le Liban, de la "labélisation" (avec toutes les nuances que ça implique) des deux publications dont on parle dans la note.
Bien à toi,
Pierre Coopman
Rédigé par : Pierre Coopman | 18 mars 2010 à 12:56
A vrai dire, je crois que, autant Mazen que moi même, avons été étonné par la politisation très rapide de l'affaire.
Le plus drôle étant que, les lecteurs de l'Orient ne lisant presque jamais le Akhbar, et inverssement, l'affaire est resté presque uniquement "interne". Et là est le problème. Il y a un lectorat captif pour chaque organe de presse, qui sert sa clientèle partisane directe. D'où l'absence de dialogue et d'échange au niveau de la sphère publique, celle que les politiques refusent de voir exister, celle qui font qu'une démocratie peut fonctionner.
Rédigé par : Alexandre Medawar | 19 mars 2010 à 11:19
content de voir que cette histoire continue a faire de couler de l'encre (même de l'encre numérique qui peut s'effacer).
sinon, je suis d'accord que la politisation est immédiate au liban, mais il faut aussi dire qu'elle marche dans les deux sens, à savoir qu'aucun organe de presse proche du 14 mars n'a cru bon de parler de cette affaire bien qu'ils aient reçu les même infos en même temps que pierre abi-saab, justement pour ne pas critiquer un organe "ami."
Rédigé par : Mazen Kerbaj | 19 mars 2010 à 14:21
Très sérieux blog que vous avez là Pierre. Moi qui me préoccupe surtout de poésie et de littérature arabes en général et libanaises en particulier, je vois que même un supplément littéraire au Liban ne saurait échapper à la tyrannie du politique.
Mais il est vrai que le sujet (statut des travailleuses doméstiques) est de première importance en effet. Le dessin de Kerbaj me paraissait salutaire. En 2008 j'ai eu l'occasion de discuter avec deux femmes de ménages éthiopiennes... Je n'ai pas le loisir de détailler nos échanges ici mais leur statut n'était pas bien reluisant, contrairement aux appartements qu'elle astiquent toute la journée, entre autre. La dernière, c'était dans la fil d'attente de l'aéroport. Elle, chargée comme une mule, à 10 mètres derrière, la famille libanaise. La cendrillon éthiopienne rejoignait son pays dans lequel elle n'avait plus remis les pieds depuis 5 ans. La famille libanaise l'accompagnait pour sa période de vacance. Elle me sussurait dans un anglais très correct qu'elle souhaitait y trouver un marie et y rester, ne plus revenir... Que Dieu l'ait exaucée...
A propos de la censure dans le monde arabe, persan ou turc, autour de tout ce qui touche de près ou de loin à l'histoire des juifs (y compris Paul Newman, la bonne blague...), une initiative ayant pour but de contrer cela est à noter: le Aladin project, traduction de ressources dans les langues des aires sus-nommées sur la seconde guerre mondiale, la Shoah ect...
http://www.projetaladin.org/en/homepage.html
Je note toutefois que le livre de Nada Abdelsamad sur les juifs de Beirut est un best seller.
Au plaisir de vous lire,
C.
Rédigé par : Cédric | 20 avril 2010 à 17:52